Lorna Bauer
Sunday is Violet

Du 20 avril au 25 mai 2024

La Galerie Nicolas Robert Toronto est heureuse de présenter Sunday is Violet, une exposition de nouvelles oeuvres par Lorna Bauer. Bauer développe depuis dix ans une œuvre photographique d’une cohérence remarquable, dont l’exécution est aussi exquise que la démarche, captivante. Tout en ayant élargi sa pratique à des conversations spatiales entre l'image, le dispositif photographique et des œuvres sculpturales, avec un intérêt marqué pour les qualités réfléchissantes du verre, Bauer est résolument engagée dans une recherche sur le regard « appareillé ». Ses images nous entraînent dans le sillage d'un·e marcheur·se, un chemin de flânerie et d’errance, d’observation attentive mais aussi de consommation rétinienne. Réalisées à l'aide d’appareils de moyen et grand formats, elles recréent le rythme et les sensations d'un corps humain dans et à travers l'espace.

L'exposition Sunday is Violet associe librement trois corpus photographiques qui – ensemble – manifestent la passion rigoureuse et fervente de Bauer pour le processus. Des roses blanches tombent mollement en cascade contre un voile de produits chimiques révélés par l'utilisation d'un film polaroïd noir et blanc périmé. Une abeille est saisie en train de se pâmer dans la corolle d'une délicate anémone japonaise, à peine troublée par le vent malgré une longue exposition. Ailleurs encore, de petites photos souvenir sont enchâssées dans d'éblouissants miroirs réalisés artisanalement, avec un maître verrier. Ce sont des visions délicieuses et ordinaires cueillies dans des jardins – des lieux familiers dans l’œuvre de Bauer –, mais elles auraient pu être prises n'importe où, ici ou ailleurs. Car ce qui compte ici, davantage que le lieu, c'est l’implication et le travail des corps dans la fabrication d'une image.

Pour la première fois, l'artiste s'est aventurée dans une démarche intégralement argentique, de l'exposition du film jusqu’à l'image imprimée. Dans la chambre noire avec un maître tireur, Bauer a passé des jours et des semaines à sélectionner les négatifs et à les évaluer, l’un après l’autre – à préparer les produits chimiques – à manipuler le papier photographique de grand format, à l'exposer, le développer et le laver, attendre qu'il sèche et révèle l'image – à évaluer le tirage et à le mettre au repos – pour tout recommencer, jusqu'à ce qu’une image vienne à sa rencontre, coagulée par le temps. La fleur importe moins que ce qui lui permet de fleurir : la durée, des gestes répétés, une intimité. Ou comment faire des images comme on fait son jardin.

Pourtant, la fleur insiste. Elle est vue de près, comme si l'objectif de l'appareil photo allait toucher ses pétales. Elle est agrandie à l'échelle d’un corps humain et le procédé argentique en couleur lui donne une profondeur et une prestance exceptionnelles. La voilà devenue une architecture à part entière, un refuge pour l'abeille comme pour notre regard.

À vrai dire, l'environnement bâti qui structure si souvent les images de Bauer semble avoir été déplacé à l'intérieur de l'appareil 4x5, qui est parfois rempli de détritus, percé de trous ou doublé par un filtre. Des processus d’ordinaire invisibles sont par ailleurs rendus manifestes. Le nitrate d’argent, cette substance chimique qui révèle l'image photographique et qui s’expose tel un verre déformant contre les rosiers, est aussi le composé grâce auquel les panneaux de verre sont transformés en miroirs. S'éloignant de ses réflexions antérieures sur l'architecture moderne et sur l’exploration de sites spécifiques, Bauer adopte ici une approche architecturale pour construire des modes d’existence avec la photographie. L'œuvre finale est bidimensionnelle, mais elle est devenue habitable.

En reconfigurant la manière dont la photographie et la sculpture, l'architecture et le jardin s’entrelacent dans sa pratique, Bauer crée un espace entre : un espace de fantasme, d'enchevêtrement et de lisière tout à la fois, miroir des opérations dédoublées de l'appareil photo, là où les choses et leur image, l'intérieur et l'extérieur, sont littéralement décomposés puis cristallisés en une image. Rompant avec les conceptions et les présentations sérielles de la photographie, la disposition irrégulière dans la galerie offre aux œuvres un espace pour vivre leur vie propre, pour croître et, qui sait, pour se fertiliser réciproquement. Voici une invitation à ressentir les images – à les voir de tout notre corps, à les toucher des yeux et à respirer avec elles.

  • Texte par Ji-Yoon Han